FRANCAIS - QUESTIONS A: Diane Audrey Ngako Fondatrice de Studio Omenkart x Collectioneuse d’Art

Entrepreneuse, Collectionneuse d’art, Forbes 30 Under 30, Mandela Washington Fellow, Creatrice de “Si maman m’avait dit” Podcast.

Diane Audrey est bien à l’image d’une génération qui refuse de se laisser définir comme étant une seule chose, qui “refuse de rester à sa place”. La camerounaise a bien su se réinventer depuis son passage @LeMonde Afrique et la création de sa plateforme a succès “Visiter l’Afrique”.

C’est une Diane résolument tourné vers l’avenir avec laquelle nous avons échangé.
Plusieurs sujets ont guidé notre conversation, d’Omenkart, à la sortie de son nouvel ouvrage -dédié à la vie de son père- (disponible en précommande à partir du 21 Avril), en passant par son amour pour l’art Africain entres autres.

Dans cette interview croisée menée par LE COLLIER et LESHYPERCONSCIENTS nous sommes allés à la rencontre de l’entrepreneuse culturelle, qui inspire toute une génération de créatives Africains.


“Il faut vraiment faire attention à nous, africains vivant à l’étranger, qui pensons être éveillés. C’est complètement faux.
La diaspora devient porte-parole de choses qu’elle ne maîtrise pas, malheureusement.
Je parle de ça aujourd’hui avec beaucoup de froideur car j’ai moi-même été dans ce cas.”
— Diane Audrey

Quel a été l’impact du coronavirus et du confinement sur ton processus créatif et ton agence ?

Mon activité a continué à très bien fonctionner.

Le média digital a été comme une sorte de réponse pour accompagner les Camerounais à vivre leur confinement.

On a eu de la chance parce que je crois que nous sommes aujourd’hui la 1ère agence digitale au Cameroun - avec tout le respect que j’ai pour mes confrères - du moins, nous sommes au moins dans le Top 3.

Nous avons eu beaucoup plus de clients, beaucoup de personnes sont venues vers nous. Nous avons recruté de nouveaux profils.

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 Les deux premiers mois, nous avons vécu le confinement chez nous. Nous avons donc fait du télétravail pendant 8 semaines.

Ça a été un challenge. Au début, pour être sincère, je ne souhaitais pas mettre mes équipes en télétravail . C’était assez problématique parce qu’une équipe attend de son manager qu’il la protège.

Moi, dans ma conception des choses, c’était : “Si je vous mets en télétravail, il y a des chances que la boîte ferme” parce qu’on n’est pas sur place, parce qu’on ne se voit pas, parce qu’on atteint pas les objectifs, parce qu’on n’est pas dynamiques. Parce qu’on perd aussi le rythme qu’on avait depuis 2 ans, à l’époque.

 

Je me disais aussi qu’en France, c’était déjà assez compliqué pour les agences de communication alors pour nous, étant une jeune boîte, il était possible qu’on y passe. Surtout que, pour moi en tant qu 'entrepreneure, j’avais tout donné à Omenkart. Je n’avais donc pas de recul.

 

Lorsque l’un de mes confrères de l’agence McCann à Douala m’a dit qu’ils feraient du télétravail, je me suis dit “Mince ! Si eux, en tant que grande agence se mettent au télétravail, peut-être que moi aussi je devrais essayer. Donc, j’ai interrogé des personnes autour de moi et j’ai ensuite établi une sorte de charte de télétravail. Si l’un de mes collaborateurs savait qu’il pouvait respecter la charte, il pouvait faire du télétravail.

 

La première semaine de télétravail s’est très bien passée, puis les 2 mois qui ont suivi aussi.

De manière générale, nous avons vécu deux mois durant lesquels les équipes n’ont pas perdu en dynamisme. Moi-même, en tant que manager ces moments m’ont permis d’avoir une meilleure perspective sur l’année 2021.

 

Ton agence a récemment remporté un appel d'offres. Peux-tu nous en dire plus ?

Nous travaillons en Côte d’Ivoire (CIV) depuis 2 ans sur 14 pays avec un client qui s’appelle Oracle.

Jusqu’à présent, nous n’avions pas de raisons particulières d’aller nous installer en CIV.

Ce qui était important [dans le fait de décrocher cet appel d’offre] c’était de réussir cet appel d’offre alors que nous étions face à plusieurs agences panafricaines, et se battre pour y arriver.

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Le contrat que nous avons décroché est avec une entreprise portugaise, Sumol+Compal. Nous les accompagnons principalement sur la digitalisation de leurs marques : SUMOL et COMPAL.

Ce qui a été complexe aussi, c’est la multiplicité des idées dans l’équipe. On se demande quelle idée va être validée, etc.

 En tant que manager, ce genre de bonne nouvelle consolide les liens d’équipe, ça rassure l’équipe

Avant de décrocher cet appel d’offre, on en a raté pas mal.

Dans le meilleur des cas, on aimerait pouvoir tous les remporter mais ce n’est pas le cas.

Qu’est-ce qui fait la “touche Omenkart”, selon toi ?

Je ne sais pas.

Au Cameroun, nous avons au moins 56 agences référencées et agréées par le Ministère de la communication mais tout le budget alloué par l’État ne transite pas toujours par ces 56 agences. Il y a plein d'autres agences qu’on ne connaît pas mais qui existent du moins sur les réseaux sociaux.

Est-ce que le fait qu’il y ait Nike, Adidas, Asics - j’ai même vu que Lidl avait fait une marque - empêche qu’il y ait d’autres marques de baskets ? La réponse est non !

Dire qu’on est une jeune agence dynamique ne veut rien dire. Il y a beaucoup d’autres agences jeunes et dynamiques.

Peut-être que la différence que notre agence a par rapport aux autres, c’est son équipe dynamique et rigoureuse.

 Je crois que la chance que l’on a aujourd’hui, c’est la rigueur de mon équipe. D’une certaine manière, avant d’avoir une équipe, c’est aussi être capable d’être un leader, un manager, qui décide d’impulser quelque chose.

En faisant des études de communication, en m’installant au Cameroun, j’avais la volonté d’apporter quelque chose de nouveau, quelque chose que j’avais appris à l’étranger. J’avais aussi la volonté de mettre les consommateurs au cœur de l’action. Étant quelqu’un de pragmatique, je voulais apporter ça, aller droit au but.

Réussir au Cameroun ou en Côte d’ivoire n’est pas une question de réseau,  pour moi, c’est un état d’esprit : “j’apprends, je connais, je délivre”.

Il ne faut pas hésiter à se renouveler. Je mets au défi les autres agences de mettre à disposition de leurs équipes des flopées de plateformes qui leur permettent de suivre des formations, des masterclasses.

Tous les mois, nous recevons des intervenants de différents secteurs pour venir échanger avec l’équipe une ou deux heures.

On “empower”également les talents au sein de l’agence : Par exemple, si l’un de mes collaborateurs souhaite devenir acteur, que c’est son rêve et que j’ai un client qui opère dans le domaine, je n'hésite pas à l'aider en les mettant en contact.

Ce que les stagiaires de mon équipe me disent souvent c’est qu’ils ne ressentent pas une différence de traitement par rapport aux autres collaborateurs. La plus petite idée peut tout changer.

De ma femme de ménage, Bijou, à mon responsable administratif, en passant par mon directeur artistique, toute idée est bonne à prendre et je sollicite tout le monde. Je pense que c’est très important de pouvoir réaliser les projets de son équipe.

Chaque début d’année, je demande aux membres de mon équipe ce qu’ils souhaiteraient réaliser au sein de l’agence, comment nous pouvons nous repenser, etc. Une fois que l’équipe a la réponse, nous pouvons avancer.

Comme tout être humain, il arrive d’avoir des hauts et des bas. Comment gères-tu les échecs ?

J’assume.

Personne ne supporte l’échec, moi la première. J’ai rencontré l’échec pour la première fois il y a trois ans, au niveau managérial. Avant cela, je n’avais jamais eu l’impression d’avoir échoué.

A chaque échec, il faut rebondir, avancer et voir ça comme des challenges à dompter.

J’ai également la chance d’avoir des amis incroyables pour me soutenir et une capacité à toujours aller de l’avant. Je suis quelqu’un de très résilient.

Tu travailles sur un nouvel ouvrage, sur la vie de ton père. Peux-tu nous en dire plus ?

La précommande du livre sera pour le 21 avril. Il sortira en librairie en août/début septembre.  L’écriture de ce livre découle de l’envie d’en savoir plus sur qui j’étais. Je serai bientôt maman et c’est important pour moi d’avoir la capacité de savoir d’où je viens.

C’est très important de savoir d’où l’on vient. C’est une partie de mon histoire que je ne connaissais pas vraiment et là, j’ai pris le temps de la connaître et de la découvrir.

 

Sais-tu qui tu es véritablement aujourd’hui après cette introspection et ces recherches sur ton histoire familiale ?

Je pense qu’on ne se connaît jamais assez car on ne connaît pas les challenges qui nous attendent dans la vie.

Je ne suis pas mère, je ne suis pas épouse, je ne suis pas grand-mère...

La vie est un “work in progress” mais il faut déjà avoir de bonnes bases.

 

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Tu as lancé il y a un peu plus d’un an le podcast “Si Maman m’avait dit”. Pourquoi ?

 

Parce que c’était un besoin.

Lorsque l’on devient femme, on se dit “j’aurais aimé que Maman me dise certaines choses”.

 

Qu’est-ce qui te touche le plus depuis le lancement du podcast  ?

C’est un honneur, c’est une grâce de pouvoir aider les gens à se sentir mieux.

Je prends beaucoup de recul sur les échanges, sur ce que les gens peuvent me partage.

En faisant ce podcast, mon équipe et moi pensions que nous n’allions faire que 500 écoutes par épisode. Nous sommes à près 8000 écoutes par épisode en moyenne.

 

Parmi ces personnes qui nous écoutent, certaines vont avoir des messages très forts, très puissants. Parfois, je mets beaucoup de temps avant de les lire ou d’y répondre parce que ça peut être lourd mentalement. C’est pour cela que je fais 10 épisodes par saison et fais une pause de 6 mois. Ça me permet de me régénérer.

Comment se déroule la préparation du podcast ?

Les interviews ne sont pas préparées car nous souhaitons garder ce côté naturel.

En général, la personne me contacte. Elle me dit ce qu'elle aurait aimé que sa mère lui dise. Une fois que cela est fait, je lui envoie les quelques questions que je vais lui poser.

Ensuite, c’est un échange que nous avons lors du podcast. Je souhaite que cela reste spontané.

 

On te sait collectionneuse d'œuvres d’art. D'où te vient cette passion ?

Quand j’étais au lycée, en France, j’avais constamment des heures de colle car je découpais des magazines en cours.

La CPE avait une collection importante de magazines et de ciseaux dans son bureau.

Quand j’ai eu 17 ans, j’ai acheté mon premier tableau. C’était un tableau qui coûtait 2,50e. C’était en 2008. S’en est suivi une grande histoire d’amour avec l’art.

Avant de collectionner les œuvres d’art , j’ai aussi collectionné les appareils photos anciens. Pour ça, j’allais dans plein de brocantes.

A partir de 2011, j’ai commencé à faire de la photo, pour mon simple plaisir.

A cette même époque, je débutais également une collection de poupées russes.

J’ai eu la chance d’avoir ma mère et mon beau-père Gilbert qui m’ont vraiment soutenus.

Ma collection de tableaux s’est vraiment accentuée vers 2012, quand mon beau-père a commencé à m’acheter des lithographies de Gauguin. D’ailleurs, à l’époque, je ne savais même pas que c’était du Gauguin !

De fil en aiguille, j’ai commencé à beaucoup plus m’intéresser à l’art, à acheter des livres, des photos, des œuvres, etc. Et ces 5 dernières années, mon amour pour l’art n’a fait que s’accentuer.

L’exposition Beauté Congo en 2015 a été un tournant dans ma manière de voir l’art contemporain en Afrique.

En 2016, la Biennale de Dakar m’a confortée dans l’idée d’avoir une collection d’art en lien avec l’Afrique. Depuis, j’ai une collection d’une centaine d'œuvres.

Quelle est ton œuvre préférée ?

Je n’en ai pas mais si je devais choisir une œuvre qui est importante pour moi, que j’aime beaucoup et qui me rappelle qui je suis, ce serait une œuvre de Marc Padeu, que j’ai affectueusement intitulée “Suis-je le gardien de mon frère ?”.

 

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source : Frida-54

 

J’ai donné ce titre à l'œuvre en hommage à l’album de Sefyu. C’est une œuvre qui symbolise la rencontre entre la spiritualité bamiléké (culte des ancêtres/cranes) et chrétienté.  

 

En parlant d’art, y a-t-il une date prévue pour la prochaine Douala Art’Fair ?

Oui, en novembre prochain, du 5 au 7.

 

Selon toi, qu’est-ce qu’être une femme inspirante ?

Pour moi, une femme inspirante est une femme dont les pas sont guidés par son cœur.

De manière générale, une personne qui m’inspire est une personne qui va au bout de ses idées, de ses projets.

C’est quelqu’un qui assume sa fragilité, qui embrasse ce que la vie a à lui offrir et qui se dit que, même quand il y a la nuit, le jour finit par se lever.

Qu’est-ce qu’un.e hyperconscient.e, selon toi ?

C’est une personne qui a conscience que, pour écrire demain, il faut connaître, vivre le présent, maîtriser et comprendre le passé.

 

Selon toi, pourquoi est-il important d’oser, de s’exprimer ?

Il faut laisser des traces, il faut valoriser les personnes que nous sommes aujourd’hui de telle sorte que les générations suivantes ne se sentent pas seules. D’ailleurs, Michelle Obama a dit “ Tu ne peux pas être ce que tu ne vois pas”.

C’est pour cela qu’après mon Bac, je suis allée aux Etats-Unis. Pour moi, c’était un pays où je pensais pouvoir me réaliser.

Aujourd’hui, il faudrait que les jeunes filles et les jeunes hommes noirs vivant en banlieue, enfants d’immigrés ou pas, puissent se dire que leurs rêves se valent.

Lorsque je vivais en France, je ne me suis jamais sentie immigrée parce que je savais d’où je venais. C’est peut-être ça la différence entre une personne d’origine africaine née en France et une personne qui est née, a grandi en Afrique puis a voyagé.

Je suis arrivée en France à l’âge de 12 ans, j’étais au collège. Le 10 de moyenne que je pouvais avoir au Cameroun équivalait à un 14 de moyenne en France.

Entre africains nés en Afrique, nous en discutons souvent : Nous sommes partis en France pour être les premiers de la classe, pour continuer nos vies, travailler. Nous avions la rage de réussir. Nous ne comprenions pas toujours les enfants de parents africains nés en France, nous avions l’impression qu’ils s’apitoyaient sur leur sort. Nous, nos parents ne nous donnaient pas le temps de nous apitoyer sur notre sort. C’était sans comprendre le système mis à en place, le jeu politique, la question de la banlieu, les ZEP… les discriminations, les métiers dédiés à ceux d’en bas… les notions d’aliénation ou d’assimilation…

 

Nous étions jeunes et on ne voyait et comprenait pas ça. Quand tu viens comme moi, du Cameroun, tu viens pour délivrer, suivre une feuille de route (que je n’ai pas vraiment fait car je n’ai pas été médecin ou avocate).

 Parfois, j’échange avec des jeunes Noirs qui vivent en France.

Je me rends compte du fossé qu’il y a entre leur perception du continent africain et ce qu’il s’y passe réellement. Je me dis “Mince, j’ai été comme ça aussi !”.

Il faut vraiment faire attention à nous, africains vivant à l’étranger, qui pensons être éveillés. C’est complètement faux.

La diaspora devient porte-parole de choses qu’elle ne maîtrise pas, malheureusement.

Je parle de ça aujourd’hui avec beaucoup de froideur car j’ai moi-même été dans ce cas.

Mot de fin ?

Just do it!

Ce sont les petits pas qui mènent aux grandes choses.

Comme le disait Goethe « Dans le domaine des idées, tout dépend de l'enthousiasme. Dans le monde réel, tout dépend de la persévérance »

Vous pouvez suivre l’actualité de Diane Audrey sur ses différents réseaux personnels @Dianeaudreyngako et de Studio Omenkart @Omenkart.

Pour écouter le podcast “Si maman m’avait dit” ici. Ci dessous le dernier épisode en date avec Junior

Listen to Si Maman M'avait Dit on Spotify. " Si maman m'avait dit " est un podcast qui nous invite à nous découvrir et à nous connecter à l'essentiel. Deux fois par mois, Diane Audrey donnera la parole à une femme, un homme en leur posant toujours une question : qu'est ce que vous auriez aimé que votre maman vous dise ?



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