La République Centrafricaine pionnière en matière d’utilisation de la crypto monnaie en Afrique : une avancée contestée
Le 28 mai 2025, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a annoncé un projet pour le moins ambitieux : mettre en vente 1 700 hectares de terres publiques sous forme de jetons numériques, via une nouvelle crypto monnaie locale baptisée Meme Coin CAR. Concrètement, ces parcelles de terre pourront être achetées sur la blockchain Solana, une des plus rapides au monde, par des investisseurs du monde entier, sous forme de « tokens ». Première en Afrique, l’annonce a suscité autant d’enthousiasme que de critiques notamment sur les plans économique et juridique.
Tokenisation foncière : une innovation radicale en Afrique ?
Avec cette annonce, la RCA confirme sa volonté de s’imposer comme un laboratoire africain d’expérimentation de la crypto-monnaie. En 2022 déjà, le pays faisait parler de lui en lançant le controversé Sango Coin, puis en déclarant le bitcoin comme monnaie légale — une première sur le continent. Aujourd’hui, l’ambition est encore plus grande : utiliser la blockchain pour tokeniser des terres publiques pendant 100 ans, et les vendre sous forme de NFT jetons numériques via la blockchain Solana, une des plus populaires au monde.
À travers ce projet, Touadéra mise sur la crypto-économie comme levier de souveraineté et d’attractivité. La RCA espère ainsi séduire des investisseurs étrangers qui, grâce à ces tokens, pourraient acquérir des droits d’usage sur des terres agricoles ou touristiques, tout en profitant d’un cadre numérique décentralisé. Le gouvernement promet transparence, immuabilité des registres fonciers, et fin de la corruption liée à l’attribution des terres. Sur le papier, le projet semble séduisant mais comporte néanmoins des risques.
Un pari risqué, entre flou juridique et désillusion populaire
Derrière la vitrine technologique de la tokenisation se cachent de nombreuses zones d’ombre. La première limite est celle de l’encadrement juridique de la propriété foncière qui est encore fragile en RCA. En effet, tokeniser un terrain ne crée pas de droit de propriété effectif en droit centrafricain, et encore moins de sécurité juridique pour les acheteurs étrangers, « aucun mécanisme ne garantit la reconnaissance légale de ces tokens comme titres de propriété dans le droit positif centrafricain » peut-on lire dans un article de Droit Médias Finance.
Sur le plan économique, la critique est tout aussi acerbe. Le projet semble plus symbolique qu’utile, car il s’adresse à une élite étrangère sans lien réel avec les dynamiques locales. La population de la République centrafricaine, deuxième pays le plus pauvre du monde, selon la Banque mondiale, ne saurait bénéficier de cette initiative en tenant en compte son faible accès à internet. Le Meme Coin CAR, basé sur un modèle inspiré des memecoins comme Dogecoin ou Shiba Inu, accentue encore cette distance entre l’imaginaire populaire et les besoins concrets du pays.
Plusieurs observateurs pointent aussi un risque de spoliation des terres. La promesse de droits d’usage sur 100 ans fait craindre une dilapidation du patrimoine foncier national à des entités anonymes sans contrepartie suffisante. Les terres pourraient ainsi devenir l’objet de spéculations internationales, dans un pays où l’accès à la terre est déjà source de tensions.
Conclusion : crypto-colonisation ou souveraineté numérique ?
Comme on pouvait s’y attendre, le débat sur la tokenisation des terres en RCA fait rage sur les réseaux sociaux et cela parce qu’il touche à la question cruciale de savoir si l’Afrique veut continuer à être actrice de la révolution numérique ou un terrain d’expérimentation des avancées du Nord. Si le projet centrafricain séduit par son audace, il reste néanmoins majoritairement perçu comme voué à l’échec et dénué de sens dans un pays où les besoins de base peinent à être comblés. Ainsi, à défaut d’un véritable cadre inclusif et démocratique, cette avancée pourrait bien profiter davantage aux investisseurs globaux qu’aux populations locales.