Nouvelles interdictions d’entrée sur le sol américain : Trump relance la diplomatie du bannissement, l’Afrique en première ligne
Derrière le discours officiel, ce décret révèle les lignes de fracture d’une relation asymétrique entre l’Afrique et les puissances occidentales, et pose la question de la capacité des États africains à répondre autrement qu’en spectateurs résignés.
Une mesure d’affichage, plus politique que sécuritaire
La liste noire de Trump cible l’Afghanistan, le Myanmar, le Tchad, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale, l’Érythrée, Haïti, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen, auxquels s’ajoutent sept pays soumis à des restrictions partielles, dont le Burundi, le Togo et la Sierra Leone. L’administration américaine invoque des « défaillances systémiques » dans la coopération sécuritaire, l’incapacité à vérifier l’identité des voyageurs, ou encore des taux de dépassement de visas jugés trop élevés (jusqu’à 70 % pour la Guinée équatoriale). Pourtant, aucun incident récent n’implique directement des ressortissants de ces pays, et certains États, comme le Congo, dénoncent une « méprise » diplomatique.
Ce bannissement, qui n’affecte pas les détenteurs de visas déjà délivrés ni certains cas dérogatoires (diplomates, sportifs, situations humanitaires), s’inscrit dans une logique de communication politique, à l’approche des élections américaines et dans un contexte de crispation identitaire. Il s’agit moins de répondre à un risque réel que de réactiver une rhétorique de l’ennemi extérieur, déjà éprouvée en 2017 avec le « Muslim ban ».
L’Afrique reléguée, l’ordre international questionné
La réaction des pays africains oscille entre indignation et appel au dialogue. L’Union africaine a exprimé sa « profonde préoccupation », avertissant que ces restrictions risquent de saper les liens humains, les échanges universitaires et les relations commerciales patiemment construites avec les États-Unis. Plusieurs voix dénoncent une mesure discriminatoire, sans fondement factuel, qui stigmatise l’Afrique et l’empêche d’accéder à des opportunités éducatives et économiques majeures.
La justification américaine occulte la responsabilité historique de l’Occident dans la fragilité institutionnelle de certains pays africains. Elle ignore aussi le rôle croissant de l’Afrique dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, notamment pour les matières premières stratégiques comme le cobalt ou le lithium, essentiels à l’industrie technologique américaine. À force de traiter l’Afrique comme un « problème migratoire » ou un « risque terroriste », Washington risque de voir le continent se tourner vers d’autres partenaires, notamment la Chine ou la Russie, plus enclins à un dialogue d’égal à égal.
Contre-attaque tchadienne : la diplomatie de la réciprocité s’affirme
Le Tchad a surpris la communauté internationale en annonçant, dès le lendemain, la suspension de la délivrance de visas pour les citoyens américains, invoquant le principe de réciprocité et le refus de « toute relation fondée sur l’humiliation ou l’unilatéralisme ». Le président Mahamat Idriss Déby a souligné que son pays, « sans avions ni milliards, a sa dignité et sa fierté ». Cette riposte, inédite par sa fermeté, marque une inflexion dans la posture diplomatique africaine, longtemps cantonnée à la protestation symbolique.
D’autres pays, comme la Sierra Leone, ont opté pour une approche pragmatique, affichant leur volonté de collaborer avec Washington pour lever les restrictions. Mais la tendance est claire : l’Afrique n’entend plus subir sans réagir, même si la riposte reste encore timide et isolée.
Conséquences économiques et géopolitiques : l’effet domino
Ce travel ban frappe de plein fouet des économies africaines déjà fragilisées par la dépendance au tourisme, aux transferts de fonds et à l’investissement étranger. Les étudiants, entrepreneurs et professionnels africains risquent d’être privés d’accès à des réseaux, des financements et des savoirs cruciaux pour le développement du continent. À l’inverse, certains analystes anticipent un redéploiement des flux touristiques et des investissements vers des pays africains non concernés par l’interdiction, comme le Kenya ou le Maroc.
Sur le plan diplomatique, la mesure pourrait accélérer le rapprochement de l’Afrique avec d’autres puissances, au détriment de l’influence américaine. L’exclusion des Africains des grands forums organisés aux États-Unis ou la remise en cause des partenariats universitaires risquent de peser lourd, à moyen terme, sur la place de Washington dans la compétition mondiale.
Vers un sursaut africain ?
L’initiative tchadienne ouvre la voie à une diplomatie africaine plus affirmée, fondée sur la réciprocité et la souveraineté. Mais pour transformer l’essai, il faudra dépasser la réaction individuelle et construire une réponse collective, cohérente et ambitieuse à l’échelle continentale. L’Afrique, forte de ses 1,4 milliard d’habitants et de ses ressources stratégiques, ne peut plus se contenter d’être l’objet des politiques migratoires occidentales : elle doit s’imposer comme un acteur à part entière, capable de défendre ses intérêts et de proposer une autre vision des relations internationales.
Ce travel ban, loin d’être un simple épisode de politique intérieure américaine, agit comme un révélateur : celui d’un monde en recomposition, où l’Afrique doit choisir entre la résignation et l’affirmation de sa voix. La balle est désormais dans le camp des dirigeants africains.