Election de Sid Ould Tah: Une BAD plus souveraine est-elle possible ?

L’élection de Sidi Ould Tah à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) est loin d’être un simple changement de gouvernance. Elle incarne un tournant historique, à la croisée des dynamiques régionales africaines et des recompositions géopolitiques mondiales. Elle traduit aussi un désir affirmé de reconquête institutionnelle par les pays africains.

Un plébiscite régional inédit

Que ce soit par son score (76,18 %) ou par la diversité des soutiens exprimés, la victoire de l’ancien patron de la BADEA s’impose comme celle d’un consensus panafricain mûrement négocié. Elle fédère des puissances comme le Nigeria, l’Égypte ou l’Algérie, mais aussi des États à la diplomatie plus discrète, à l’image du Bénin ou de la Côte d’Ivoire. Ce rassemblement, au-delà des lignes de fracture traditionnelles (Maghreb vs Afrique subsaharienne, francophones vs anglophones), exprime une volonté collective : voir l’Afrique gouverner ses instruments stratégiques selon ses propres priorités.

Un signal fort dans un moment de rupture

La conjoncture internationale, marquée par le retrait annoncé des États-Unis du Fonds africain de développement (FAD), ajoute à l’urgence. Washington laisse un trou de plus de 500 millions de dollars, menaçant des programmes cruciaux dans les domaines sociaux et climatiques. Ce désengagement questionne la soutenabilité du modèle multilatéral hérité des années 1960. Il interpelle aussi sur la dépendance africaine à des bailleurs dont les priorités fluctuent au gré des élections ou des reconfigurations stratégiques.

Vers une nouvelle diplomatie financière ?

L’un des principaux défis de Sidi Ould Tah sera donc de réinventer le financement du développement africain. Fort de son passage à la BADEA, où il a su drainer les fonds du Golfe et d’Asie, il incarne une diplomatie financière alternative. Il ne s’agit plus seulement de tendre la main à l’Occident, mais de construire des coalitions avec le Sud global — plus alignées sur les besoins africains, moins soumises aux conditionnalités, et plus enclines à valoriser les actifs continentaux (énergies renouvelables, capital humain, foncier, etc.).

BAD : de la souveraineté au leadership ?

Plus qu’un virage financier, c’est un repositionnement politique qui se joue. Une BAD souveraine, c’est une BAD qui agit pour les femmes entrepreneurs de Bamako comme pour les start-ups climatiques de Casablanca. Une BAD connectée au terrain, alignée sur l’intégration régionale, investie dans la transformation structurelle. Ce leadership africain affirmé devra toutefois composer avec les contraintes : la rigueur des marchés financiers, l’hétérogénéité des États membres et les résistances internes à toute réforme de fond.

Conclusion : un moment africain

L’élection de Sidi Ould Tah n’est pas un aboutissement. C’est un moment-charnière qui cristallise des attentes profondes. L’Afrique revendique son droit à l’expérimentation institutionnelle, à la souveraineté économique et à une parole forte dans les forums internationaux. La BAD peut et doit en être l’un des porte-étendards. Mais cela exige une présidence agile, audacieuse et capable d’imposer une vision dans un monde en fragmentation.


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