Histoire d’une saga politico-juridique : l’île Mbanié

Après plus de trente ans de tensions feutrées et de négociations laborieuses, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu, le 19 mai 2025, un verdict qui fera date : la souveraineté sur l’île Mbanié, ainsi que sur les îlots voisins de Congas et Cocotiers, revient à la Guinée équatoriale. Une décision qui, loin de se résumer à un simple jeu à somme nulle, redéfinit les rapports de force tout en ouvrant la voie à de nouvelles dynamiques régionales.

Les racines d’un différend séculaire

L’affaire Mbanié plonge ses racines dans les méandres de l’histoire coloniale, où la France et l’Espagne, alors puissances tutélaires, avaient tracé à la hâte des frontières sur des cartes souvent imprécises. Si le Gabon avançait la proximité géographique et la convention de Bata de 1974, la Guinée équatoriale, elle, s’appuyait sur la continuité des titres coloniaux espagnols. La CIJ, après un examen minutieux des archives et des mémoires, a estimé que le titre espagnol, transmis à la Guinée équatoriale à son indépendance, prévalait juridiquement.

Un enjeu stratégique, bien au-delà du symbole

Ce litige, longtemps discret, s’est cristallisé à mesure que des indices de réserves pétrolières ont été découverts dans la baie de Corisco. Dès lors, Mbanié, Congas et Cocotiers se sont imposés comme de véritables enjeux stratégiques, attisant les convoitises et accélérant la judiciarisation du conflit. En 2016, les deux États ont choisi la voie du droit international, soumettant leur différend à la CIJ.

Un jugement qui rebat les cartes

La décision de la Cour ne se limite pas à une simple attribution de souveraineté. Elle invite également les deux pays à engager des discussions sur la délimitation de leur frontière maritime, la CIJ ayant estimé qu’aucune démarcation n’existait à ce jour. Sur le plan terrestre, la ligne de 1900 retrouve sa pleine valeur, redistribuant certains territoires frontaliers. Le Gabon, s’il doit revoir ses ambitions sur Mbanié, conserve néanmoins une position centrale dans la région et voit certains de ses droits terrestres consolidés.

À Libreville, entre déception et sens des responsabilités

À Libreville, la décision de la CIJ a été accueillie avec un mélange de déception et de dignité. Les autorités gabonaises, conscientes de l’importance du respect du droit international, ont appelé au calme et à la préservation de la paix régionale. La population, d’abord surprise, mesure progressivement la portée de ce verdict, qui s’inscrit dans un contexte de transition politique et de recomposition institutionnelle. Pour nombre d’observateurs, il s’agit moins d’une défaite que d’un rappel de la complexité des héritages coloniaux et de la nécessité de privilégier le dialogue.

À Malabo, une victoire saluée mais mesurée

À Malabo, la décision a été saluée comme un succès diplomatique. Le président Obiang a qualifié ce moment d’« historique » et tendu la main à son voisin, insistant sur la nécessité d’ouvrir un nouveau chapitre de coopération bilatérale. Mais la victoire n’efface pas les défis à venir : la gestion des ressources, la délimitation des frontières maritimes et la stabilité régionale restent des chantiers ouverts.

Un précédent pour l’Afrique

Au-delà du cas Mbanié, ce jugement pourrait inspirer d’autres États africains confrontés à des litiges similaires. La CIJ rappelle, une fois de plus, que le droit international prime sur la force ou l’occupation, et que la résolution pacifique des différends demeure la voie à privilégier.

“Le Gabon et la Guinée équatoriale sont condamnés à vivre ensemble », résume Guy Rossatanga-Rignault, secrétaire général de la présidence gabonaise. Plus qu’une fin, ce verdict marque le début d’un nouveau chapitre, où la coopération et le dialogue devront prendre le relais de la confrontation.”




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