Nouvelle tournée africaine de Macron : ultime manoeuvre ou vraie refondation ?
Depuis plusieurs années, chaque déplacement d’Emmanuel Macron sur le continent sert d’indicateur, presque de révélateur, de la trajectoire franco-africaine. Entre promesses de rupture, réalités géopolitiques têtues et attentes d’un continent désormais sûr de lui, chaque voyage devient une question en suspens :
la France peut-elle encore redéfinir une relation qui, elle, n’attend plus Paris pour se transformer ?
Une tournée-éclair au parfum d’urgence
Du 20 au 24 novembre 2025, le président français enchaîne Maurice, l’Afrique du Sud, le Gabon et l’Angola. Quatre escales, cinq jours, et un constat qui s’impose : la France court après un rôle qu’elle n’occupe plus naturellement.
L’agenda, dense à l’excès, en dit long : exercice militaire dans l’océan Indien, G20 à Johannesburg, entretien avec Brice Oligui Nguema à Libreville, conclave UE–UA à Luanda… Ce n’est pas une tournée de courtoisie ; c’est une opération de rattrapage.
La France face à un échiquier africain totalement recomposé
L’Afrique de 2025 n’est plus celle des années Chirac, Sarkozy ou Hollande. Elle est devenue un espace stratégique où avancent des puissances longtemps périphériques : Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Inde, Brésil, Turquie, Russie…
Les chiffres parlent.
– Les échanges Chine–Afrique flirtent avec les 285 milliards de dollars, quand ceux de la France stagnent autour de 52 milliards.
– Pékin finance près de 25 % des grands projets d’infrastructures du continent, de la ligne Addis-Abeba–Djibouti aux ports tanzaniens ou mozambicains.
– La Russie s’est imposée comme acteur sécuritaire majeur au Mali, au Niger, en Centrafrique ou au Burkina Faso.
– Les Émirats, via DP World ou Abu Dhabi, investissent dans les ports, les télécoms, l’énergie, du Maroc à l’Afrique australe.
Dans ce paysage fractal, la France ne peut plus jouer les chefs d’orchestre. Elle doit désormais se contenter d’être un partenaire parmi d’autres — ce qui, longtemps, lui a été inconcevable.
Entre discours de rupture et vieilles habitudes
Depuis 2017, Emmanuel Macron répète vouloir « tourner la page de la Françafrique ». L’intention est affichée, presque martelée. La réalité, elle, résiste :
La présence militaire, même repensée, reste un marqueur. L’exercice maritime de Maurice en est l’illustration : Paris veut demeurer incontournable dans la sécurité régionale.
Les entreprises françaises — énergie, mines, eau, infrastructures — conservent des positions stratégiques. Au Gabon, les dossiers Eramet, Suez ou Veolia pèsent plus lourd que les déclarations sur la souveraineté.
La diplomatie culturelle et universitaire continue de fonctionner dans une verticalité héritée. Utile, mais insuffisante face à une jeunesse qui réclame la co-construction, pas la transmission descendante.
La rupture se dit ; elle ne se matérialise pas encore.
L’Afrique, juge désormais intraitable
Autrefois, une tournée présidentielle fixait le tempo de la relation. Ce temps est révolu.
Aujourd’hui, chaque mot, chaque geste, chaque omission est disséqué par des opinions publiques connectées, mobiles, exigeantes.
La jeunesse colonne vertébrale démographique et politique du continent ne veut plus de symboles. Elle réclame du concret :
emplois, infrastructures, transferts de compétences, industrialisation.
La France doit donc répondre à une interrogation simple, mais décisive :
pourquoi rester, et dans quelles conditions ?
Un voyage à la fois nécessaire et fragile
Cette tournée n’a rien d’un retour en majesté, mais elle n’est pas non plus un chant du cygne.
Elle ressemble davantage à un pari, ou à un test.
– À Maurice, Paris veut rappeler qu’elle reste un acteur sécuritaire crédible.
– En Afrique du Sud, elle tente de parler d’égal à égal avec une puissance régionale affirmée.
– Au Gabon, elle cherche à accompagner une transition sans être accusée d’ingérence.
– À Luanda enfin, elle veut peser dans un dialogue UE–UA qui lui échappe de plus en plus.
Mais au-delà des annonces, un basculement s’opère : la France ne dicte plus. Elle négocie. Ou elle disparaîtra du jeu stratégique africain.
Refondation ou illusion ?
La refondation que Macron évoque depuis huit ans n’aura de sens que si Paris accepte trois évidences :
– elle n’est plus centrale et ce n’est pas un drame, seulement un fait ;
– son rôle doit être co-construit, non présupposé ;
– son avenir dépendra de preuves, pas de discours.
L’influence française n’est pas condamnée. Elle est conditionnée.
À sa capacité à rompre enfin avec le réflexe tutélaire.
À sa volonté d’entrer dans une relation adulte, horizontale, assumée.
Dans cette tournée, l’Afrique observe, calmement, lucidement.
Et ce regard, ni hostile ni impressionné, porte une seule exigence : la cohérence.
La question reste entière : la France saura-t-elle répondre à cette exigence ?
C’est là, dans cette réponseou dans son absence que se joue le véritable tournant du partenariat franco-africain.