Sortir une guerre des méandres de l’oubli et assumer ses actes : Macron brise le silence
Il est des silences qui écrasent plus que des aveux. Depuis plus de soixante ans, la guerre du Cameroun a été reléguée aux marges de la mémoire française, comme un chapitre honteux que l’on préfère taire. Le 12 août 2025, Emmanuel Macron a adressé à Paul Biya une lettre reconnaissant « le rôle et la responsabilité » de la France dans ce conflit, notamment dans l’assassinat de figures majeures de l’indépendance, à commencer par Ruben Um Nyobè. Geste tardif, certes, mais qui fissure un verrou. Et qui ouvre une boîte de questions que Paris aurait sans doute préféré laisser fermée.
Une guerre sans nom
Entre 1955 et le début des années 1970, le Cameroun fut le théâtre d’une répression méthodique. Officiellement, de simples « opérations de maintien de l’ordre ». En réalité, une guerre totale. Les forces coloniales françaises, puis l’armée camerounaise sous influence de Paris, traquaient sans relâche les militants de l’Union des populations du Cameroun (UPC).
Ruben Um Nyobè, « le Mpodol », prônait une indépendance sans tutelle. Sa popularité inquiétait Paris. Le , le Cameroun devient officiellement indépendant. Dans les faits, il reste cadenassé par des accords militaires, économiques et politiques qui maintiennent l’influence française. Ahmadou Ahidjo, premier président, poursuit la traque contre les maquisards, avec parfois l’appui direct de conseillers venus de Paris.
Le modèle s’exporte : une souveraineté de façade, au service de la continuité des intérêts coloniaux. Une histoire longtemps gommée des manuels, ne survivant que dans les témoignages, reconnaître, mais ni s’excuser, ni indemniser. Pas d’ouverture complète des archives. Pas de commémoration officielle.
Pour Paris, la prudence est stratégique : éviter un précédent qui déclencherait une vague de revendications. Mais cette reconnaissance incomplète nourrit un paradoxe : admettre un crime historique tout en refusant d’en assumer les conséquences.
À Yaoundé comme à Douala, le débat s’invite désormais hors du cercle des historiens et militants. Faut-il intégrer cette guerre au récit national ? L’enseigner dans les écoles ? Ouvrir un processus vérité et réconciliation ? Le régime Biya, héritier du système Ahidjo, n’a jamais montré la moindre envie de rouvrir un dossier qui touche aux fondations de son pouvoir.
Le temps de vérité
La reconnaissance de Macron n’est pas une conclusion. C’est un début. Elle oblige à réévaluer la relation franco-camerounaise, et avec elle, le mythe d’une décolonisation pacifique.
Car l’enjeu dépasse le Cameroun. Il concerne la façon dont les anciennes puissances coloniales acceptent – ou non – de regarder leurs zones d’ombre. Comme le résume un historien camerounais : « Reconnaître, c’est un commencement. Mais sans vérité complète, il n’y aura jamais de réconciliation. »