Relation sino, nippo, turco-africaine : pourquoi le continent négocie-t-il en bloc quand les autres viennent seuls ?

Qu’importe l’époque ou les visages politiques qui l’animent. Le théâtre diplomatique africain rejoue toujours une pièce familière : celle d’un continent invité à parler d’une seule voix face à un pays, alors qu’aucune réelle symétrie ne peut découler de tels rapports. Aujourd’hui encore, alors que se tient le Sommet TICAD au Japon, ce scénario se répète : Tokyo arrive avec une stratégie nationale claire, tandis que l’Afrique tente de se présenter unie, malgré des rivalités internes intenses comme c’est le cas entre le Maroc et l’Algérie ou le Rwanda et la RDC. Des forums nippo-africains aux sommets turco-africains, en passant par les tables rondes sino-africaines, la mécanique semble immuable : une Afrique en quête d’investissements, affichant une unité de facette face  à des néo-colons. 

L’Afrique : unité affichée, dépendance  prolongée 

On vante souvent la participation de l’Afrique aux grands rendez-vous diplomatiques mondiaux comme une preuve de maturité politique. Chaque sommet France-Afrique, Chine-Afrique, Japon-Afrique ou Turquie-Afrique est présenté comme une opportunité pour le continent de défendre ses intérêts collectifs et d’exister dans un monde multipolaire. Et pourtant, cette narration flatteuse masque une vérité plus intransigeante : l’Afrique reste encore prisonnière de logiques impérialistes, passant d’un maître à un autre, sans parvenir à imposer ses propres règles du jeu.

Ces sommets ne sont pas conçus comme des espaces de dialogue d’égal à égal. Ils sont organisés par des puissances extérieures, selon leurs propres agendas, avec l’Afrique convoquée comme un bloc invité, rarement comme un acteur central. La logique implicite est claire : c’est toujours « l’autre » qui fixe le cadre, définit les priorités et en retire les principaux bénéfices.

L’Afrique : bloc pertinent ou plaie béante ?

L’unité affichée lors des différents sommets pays organisés avec l’Afrique mpressionne sur le papier : un continent d’1,4 milliard d’habitants, des ressources naturelles inestimables, un potentiel économique immense. Mais derrière l’image, les fractures sont béantes. Chaque État poursuit ses propres intérêts stratégiques, souvent en contradiction avec ceux de ses voisins.

S’il faut prendre l’exemple des relations turco-africaines, officiellement, Ankara rencontre l’Afrique dans son ensemble. Mais dans la pratique, des présidents comme Bassirou Diomaye Faye et Oligui Nguéma négocient séparément leurs propres accords, cherchant à attirer des investissements turcs pour leurs pays respectifs. Le message est limpide : derrière l’unité proclamée, c’est le chacun-pour-soi qui domine.

Cette dispersion diplomatique sert les intérêts des puissances étrangères. Elles encouragent cette compétition entre États africains, sachant qu’un continent divisé reste plus facile à contrôler. L’unité de façade devient ainsi un théâtre où l’Afrique joue la puissance, mais où la scène est en réalité dominée par d’autres metteurs en scène.

Pékin, Tokyo, Ankara : la stratégie des solitaires

La logique des puissances asiatiques et européennes est aujourd’hui limpide. Chacune avance sous son propre drapeau, forte d’un appareil diplomatique centralisé, d’une identité étatique affirmée et d’une vision claire de ses priorités : infrastructures et matières premières pour la Chine, coopération technologique et diplomatie de prestige pour le Japon, soft power religieux et économique pour la Turquie.

Face à cela, l’Afrique, plutôt que d’assumer la diversité de ses voix, cherche à composer un front commun. Mais ce front se réduit souvent à une façade fragile : les États qui négocient ensuite individuellement raflent les bénéfices, tandis que les autres restent spectateurs d’une mise en scène d’unité qui ne produit pas de véritables contrepoids.

Le bloc africain, dernière carte des faibles ?

Si l’Afrique se présente en bloc, c’est moins par conviction que par nécessité. Consciente de son retard en matière de puissance militaire, technologique et financière, elle cherche à compenser son éparpillement diplomatique par le nombre. Mais cette « unité » est fragile, car elle repose sur une peur commune plutôt que sur un projet partagé.

Le danger est évident : à force de courir d’un partenaire à l’autre, l’Afrique reproduit le schéma colonial où les ressources et les décisions stratégiques sont déterminées à l’extérieur. Le maître a changé, mais la relation reste la même. La dépendance structurelle continue, travestie sous les habits modernes du partenariat et de la coopération.

Conclusion : une unité à l’épreuve de la réalité

La vraie question est la suivante  : l’Afrique a-t-elle vraiment besoin de parler d’une seule voix pour exister, ou doit-elle au contraire assumer ses diversités et bâtir une stratégie collective enracinée dans ses propres priorités ?

Pour l’instant, les faits parlent d’eux-mêmes : les puissances extérieures imposent leur rythme et leurs règles. L’Afrique, malgré ses proclamations, peine à sortir de son rôle de spectatrice. Tant que l’unité sera seulement un bouclier symbolique et non une force structurée par une vision commune, les sommets resteront des vitrines de dépendance plutôt que des espaces de souveraineté. L’histoire retiendra peut-être que le continent a su rassembler ses voix. Mais ce qui comptera vraiment, c’est de savoir si, derrière cette façade, l’Afrique aura un jour le courage de dicter ses propres règles et non de se contenter de suivre celles des autres.



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