Acrobatie démocratique ou malversation patriotique au Bénin : Wadagni avec Talon aux commandes ?
Au Bénin, la politique n’est pas qu’une simple affaire de bilans de fin de mandat : elle se nourrit comme l’histoire l’a souvent démontré d’héritages, de réseaux et de stratégies silencieuses. Dans ce paysage, Romuald Wadagni s’impose comme une figure singulière. Ministre de l’Économie encensé pour ses réformes et adoubé par les bailleurs internationaux, il s’est érigé et a été choisi par la suite en tant qu’héritier naturel d’un système façonné par Patrice Talon. Faut-il y voir l’émergence d’un successeur crédible ou la mise en place d’une succession verrouillée, habillée du langage de la compétence et de la stabilité ?
Wadagni, l’enfant prodige de la finance béninoise
Romuald Wadagni ne s’est pas imposé par hasard. Formé dans les meilleures universités et ayant gravi les échelons des plus grandes institutions financières , le technocrate a rapidement gagné l’estime des partenaires internationaux. Ses réformes de gestion budgétaire et sa capacité à présenter un Bénin « modèle » aux yeux du Fonds Monétaire International et de la Banque mondiale en ont fait l’icône d’une génération de dirigeants que l’on dit « modernes » et « connectés ». Pour beaucoup de Béninois, il est la preuve tangible que le pays peut produire des élites capables de rivaliser avec les standards internationaux, sans avoir à rougir devant les grandes capitales mondiales.
Mais derrière le récit officiel d’un ministre modèle, se profile une trajectoire politique plus complexe. Wadagni n’est plus seulement un exécutant des orientations présidentielles, il est devenu le visage de la rigueur et de la réussite que le régime brandit comme vitrine. Ce double rôle de technicien respecté à l’extérieur et de symbole de réussite nationale à l’intérieur le place au cœur d’un dispositif politique qui dépasse ses compétences techniques. Ce n’est plus seulement un ministre qui rassure les bailleurs, mais l’héritier que certains, dans l’ombre dont le président Talon, se sont employés à façonner pour la présidentielle de 2026.
L’ombre de Talon dans le choix de Wadagni
Depuis 2016, Patrice Talon a façonné un pouvoir hyperprésidentiel, où les équilibres institutionnels se plient aux volontés du chef. Dans cette architecture verticale, Wadagni n’est pas seulement un collaborateur : il est le bras économique, le visage rassurant auprès des bailleurs, l’artisan du récit de crédibilité internationale. Cette réalité n’est plus aujourd’hui le fruit de spéculations ou de débats de salon, mais le résultat d’une décision politique formelle et publique.
En effet, le dimanche 31 août 2025, l’Union Progressiste (UPR) et le Bloc Républicain (BR), les deux principaux partis de la majorité présidentielle, ont désigné Romuald Wadagni comme candidat unique de la mouvance pour la présidentielle d’avril 2026. Abdoulaye Bio Tchané, à la tête du bloc républicain, le présente d’ailleurs comme le profil idéal pour assurer la continuité et renforcer les acquis des réformes engagées depuis près d’une décennie. Le temps des spéculations est clos: Wadagni s’affirme désormais comme le dauphin officiel, intronisé sans congrès ni débat.
Entre loyauté et malversation patriotique
Les défenseurs du duo Talon-Wadagni insistent sur une évidence : la stabilité est fragile, et il faut des hommes expérimentés pour la préserver. Selon eux, qui mieux que le grand ordonnateur des réformes économiques pour garantir la poursuite des projets et protéger l’héritage du nouveau départ ? Ils y voient un choix de patriotisme, une continuité nécessaire face à un environnement régional marqué par les coups d’État militaires, l’instabilité et la contestation permanente. Dans ce discours, Wadagni devient le garant d’un équilibre fragile, celui qui peut incarner une transition douce sans bouleverser les acquis.
Leurs adversaires dénoncent une réalité moins reluisante : derrière les proclamations de loyauté et de patriotisme se profile le spectre d’une confiscation du pouvoir. Ériger une compétence technocratique en capital politique, c’est ramener la démocratie à une logique d’héritage, où le mérite individuel devient prétexte à verrouiller le système. Si Wadagni devait s’imposer comme successeur « naturel », ce serait moins l’expression du génie béninois qu’un aveu : celui d’une élite restreinte décidant seule, dans l’ombre, de l’avenir du pays. Aux yeux d’une partie de l’opinion, cela ne relève plus de la stratégie, mais de la malversation politique.
Conclusion : le Bénin au carrefour des illusions
À l’heure où l’Afrique de l’Ouest vacille entre transitions militaires et coups d’État, le Bénin aborde un tournant décisif. Wadagni, étoile montante de l’économie, sera-t-il l’artisan d’un renouveau politique ou l’incarnation d’une stratégie de survie du talonisme ? La réponse ne se lira ni dans les communiqués flatteurs des bailleurs, ni dans les calculs du palais. Elle dépendra de la lucidité de l’opposition et de la vigilance du peuple, capables, ou non, de distinguer l’acrobatie démocratique de la malversation patriotique, et de choisir, en conscience, l’héritage qu’ils entendent léguer aux générations futures.