Simone Ehivet Gbagbo : au-delà du nom, considérer le parcours ?
En Afrique, les noms ne sont jamais neutres. Ils racontent une histoire, inscrivent un individu dans une lignée et prédisent souvent son avenir. En politique, cette dimension prend une résonance particulière : les noms deviennent des étendards, convoquent des fidélités, mais réveillent aussi des rancunes profondes. En Côte d’Ivoire, rares sont les patronymes aussi lourds de symboles que celui de Gbagbo ». Synonyme à la fois de lutte, de charisme, de pouvoir mais aussi de fracture nationale, il reste indissociablement lié à la mémoire de la dernière crise post-électorale.
Aujourd’hui, c’est Simone Ehivet, ex-compagne de vie et de combat de l’ancien président, qui choisit d’avancer sur la scène électorale avec ce nom en bandoulière. Candidate confirmée par la CEI à l’élection présidentielle du 25 octobre prochain, elle se présente sous l’identité de Simone Ehivet Gbagbo. Un choix qui dépasse la simple formalité administrative, car derrière cette candidature se joue une bataille plus subtile : celle du droit d’incarner, de prolonger, ou peut-être même de réinventer une mémoire politique.
Un nom qui divise, un symbole qui persiste ?
Depuis l’annonce de la candidature de Simone Gbagbo, le Parti des Peuples Africains Côte d’Ivoire (PPA-CI), formation créée par Laurent Gbagbo, n’a pas caché son hostilité. Pour ses cadres, l’usage du patronyme « Gbagbo » par Simone relève de l’appropriation et risque de semer la confusion dans l’esprit des électeurs.
Saisi, le Conseil constitutionnel a cependant estimé être incompétent pour interdire l’usage de ce nom par Simone. En d’autres termes, Simone Ehivet est libre de se présenter telle qu’elle le souhaite, avec ou sans l’étiquette « Gbagbo ». Mais au-delà du juridique, c’est bien sur le terrain symbolique que la confrontation se joue.
Car « Gbagbo » n’est pas un simple patronyme. Dans l’imaginaire collectif, il reste un mot de ralliement, surtout dans les zones rurales où l’ancien président demeure « le Woody de Mama », figure de résistance et d’attachement au peuple. Pour certains, Simone instrumentalise un héritage qui ne lui appartient plus. Pour d’autres, elle en est encore l’incarnation légitime, porteuse d’un esprit de lutte qu’aucune rupture conjugale ne saurait effacer.
Une trajectoire forgée dans l’épreuve
Réduire Simone Ehivet à « l’ex-première dame » serait ignorer l’épaisseur de son engagement. Avant d’être associée à un nom, elle fut une actrice centrale de l’histoire politique ivoirienne contemporaine : vice-présidente de l’Assemblée nationale, militante des premières heures dans les amphithéâtres et les rues d’Abidjan, femme de conviction prête à affronter la prison et l’opprobre. Elle n’a pas seulement accompagné Laurent Gbagbo, elle a contribué à forger sa trajectoire et à nourrir son combat.
Aujourd’hui, son pari n’est donc pas de se réfugier derrière un patronyme mais d’assumer pleinement l’identité politique qu’elle s’est construite au fil des épreuves et des luttes. Candidate, elle se présente moins comme « l’ex-épouse de » que comme une femme d’action, porteuse d’une expérience singulière et d’une légitimité forgée dans la rue, dans les institutions et dans la douleur des années sombres.
Que l’avenir électoral lui soit favorable ou non, une certitude s’impose : Simone Ehivet ne doit pas être réduite à son passé d’épouse car elle reste une grande dame de la scène politique, qui a marqué et continue de marquer son époque.
Le défi de la légitimité
Dans un paysage ivoirien dominé par les grands blocs que sont le RHDP, le PDCI et le PPA-CI, la candidature de Simone Ehivet est un pari risqué. Ses adversaires la décrivent comme une figure du passé, incapable de séduire au-delà des nostalgiques. Ses partisans, eux, y voient une alternative crédible, une voix singulière qui pourrait rallier les déçus de toutes parts et redonner un souffle d’espérance à une opposition en panne de renouvellement.
Mais au-delà des perceptions, son véritable défi reste le suivant : convaincre que son projet dépasse le simple héritage d’un nom ou d’un rôle. Car les électeurs d’aujourd’hui attendent plus que des symboles. Ils demandent des programmes clairs, une vision, des solutions concrètes. La question est donc de savoir si Simone Ehivet saura faire entendre une voix propre, distincte, sans pour autant renier ce qu’elle doit au nom qu’elle porte encore.
Conclusion : poser un regard renouvelé
En entrant dans l’arène électorale, Simone Ehivet Gbagbo invite à déplacer le regard : au-delà des patronymes et des querelles symboliques, c’est son parcours, ses idées et sa capacité à transformer l’épreuve en action politique qui méritent d’être considérés. Simone Ehivet ne saurait donc être considérée comme l’ombre d’un passé ou l’ombre d’une personne. Elle reste une figure singulière du passé politique ivoirien, de son présent et peut-être, demain, un visage du renouveau.