Diaspora bonds : le Sénégal peut-il vraiment compter sur sa diaspora pour assainir ses finances publiques ?

La diaspora sénégalaise, éparpillée aux quatre coins du globe, reste l’un des piliers invisibles de l’économie nationale. En 2023, ses transferts ont dépassé 2,5 milliards de dollars, près de 10 % du PIB, soit davantage que l’aide publique au développement et, certains années, plus que les investissements directs étrangers. Historiquement perçue comme un soutien familial ou communautaire, la diaspora pourrait désormais devenir un acteur de la politique budgétaire : le gouvernement d’Ousmane Sonko veut mobiliser son épargne via des diaspora bonds.

Le rêve d’un capital patriotique

L’idée n’est pas nouvelle. Dans les années 1990, l’Inde avait sollicité ses expatriés pour combler une crise de balance des paiements, récoltant en quelques mois des milliards de dollars et évitant le défaut. Le Nigeria s’est aussi prêté à l’exercice, levant 300 millions de dollars en 2017. Preuve que le lien affectif et identitaire peut se transformer en levier financier.
À son tour, le Sénégal veut tenter l’expérience. Depuis Milan, Ousmane Sonko a annoncé l’intention de lancer ces obligations à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM). Le message est clair : transformer l’épargne patriotique en instrument de souveraineté économique, dans un contexte où la dette publique frôle les 80 % du PIB et où chaque franc CFA compte.

Mais la confiance ne s’improvise pas

Le principal obstacle reste la confiance. L’échec de l’Éthiopie, qui avait tenté de financer son barrage de la Renaissance avec des diaspora bonds, illustre bien le risque : sans transparence ni gouvernance crédible, la mobilisation reste lettre morte.
Pour le Sénégal, la difficulté est la même. Envoyer de l’argent à un frère pour la Tabaski est un geste affectif et immédiat ; confier son épargne à l’État suppose de croire en un retour, en une gestion rigoureuse et en des institutions fiables. Or, le pays sort d’années de crises politiques et de méfiance envers les élites.

Entre stratégie économique et pari politique

Le lancement de ces obligations dépasse donc la simple logique financière : c’est un test politique. Si Ousmane Sonko parvient à mobiliser la diaspora, il ne gagnera pas seulement un ballon d’oxygène budgétaire ; il prouvera que l’État peut renouer la confiance avec ses citoyens de l’extérieur. À l’inverse, un échec fragiliserait son discours souverainiste et refroidirait d’autres investisseurs.
Pour le Premier ministre et son parti PASTEF, ce projet s’inscrit dans un récit patriotique : affirmer que le Sénégal peut se développer par ses propres forces et par l’engagement collectif de ses enfants, qu’ils soient à Dakar, Paris ou New York.

Diaspora bonds : illusion ou levier d’avenir ?

Ces obligations ne suffiront évidemment pas à régler les fragilités structurelles : dette lourde, subventions énergivores, évasion fiscale. Mais elles pourraient marquer une rupture symbolique : passer de la diaspora des mandats Western Union à une diaspora actrice du financement public.
En réalité, la question n’est pas tant financière que politique : le Sénégal saura-t-il regagner la confiance de ses expatriés ? Si oui, les diaspora bonds pourraient devenir un instrument durable de développement. Sinon, ils risquent de n’être qu’une promesse de plus dans la longue liste des espoirs africains inachevés.


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