Gabon : le PDG face à l’épreuve du néant
Qu’importe la façade du temps et des acteurs, certaines tragédies politiques se rejouent inlassablement. Le 30 août 2023, lorsque Brice Oligui Nguéma fait vaciller le régime Bongo — dont il fut hier un précieux auxiliaire — ce n’est pas seulement un homme qu’il éjecte du pouvoir. C’est tout un système que le chef des militaires condamne à la caducité, entraînant dans sa chute la carcasse autrefois robuste du Parti Démocratique Gabonais (PDG). L’ex-parti hégémonique, pilier d’une dynastie, vacille désormais, ravagé par des démons endogènes que ni le sang de la victoire ni celui de la défaite n’a su apaiser.
Le PDG, champ clos de toutes les ambitions
Ce que certains observateurs pressentaient déjà dans les derniers mois du règne Bongo — à la faveur de l’AVC d’Ali Bongo en octobre 2018 — éclate désormais au grand jour : le PDG, naguère matrice de la stabilité et de l’autorité, n’est plus qu’une arène où s’affrontent chefs de clans, technocrates déchus, ambitieux sans boussole et réformateurs pressés.
Le retour précipité du président convalescent a bouleversé la donne. Une nouvelle génération, insaisissable et souvent étrangère au sérail originel, s’est engouffrée dans la brèche. L’ascension impérieuse de Brice Laccruche Alihanga, incarnation de ce « renouveau » biberonné à l’air du temps, a cristallisé les rancœurs. Certains dirigeants historiques ont dénoncé la mainmise d’éléments jugés « exogènes » — béninois, libanais, sénégalais — sur des pans entiers de l’appareil : une fracture identitaire trop longtemps ignorée.
Incapables de contenir cette crise, le basculement du 30 août n’a en vérité fait qu’aiguiser les appétits et précipiter la ruée vers l’héritage convoité.
Ngoma, Louembé, Akbar… La valse des prétendants
Le 30 janvier 2024, sous la férule de la faction des réformateurs, Angélique Ngoma est propulsée à la tête du Secrétariat général, flanquée de Blaise Louembé, bien décidé à solder les comptes de l’ère Bongo. L’affichage est limpide : rompre avec l’ancien régime, lever les ambiguïtés, offrir au PDG une improbable virginité dans un paysage politique remodelé.
Mais la manœuvre n’a pas fini de livrer ses soubresauts. Le 18 juillet 2025, la voix d’Ali Bongo, que le pays croyait perdue, s’élève à nouveau. Dans un geste à la fois surréaliste et désespéré, il réinstalle son fidèle Ali Akbar à la barre du PDG. Geste d’autant plus spectaculaire qu’il intervient hors de toute procédure organique, alors même que le QG du parti demeure placé sous scellés judiciaires. La légitimité du chef déchu ne tient plus qu’à une poignée de partisans désorientés, mais le symbole reste lourd de signification.
Les « réformateurs » hurlent au coup de force, balaient d’un revers de main cette « nomination de l’exil » et promettent d’en découdre jusque devant les tribunaux. La guerre des communiqués vire à la guérilla verbale, les plaintes se croisent, les insultes fusent : le PDG n’a plus de colonne vertébrale, seulement des groupes d’influence arc-boutés sur leur citadelle.
La justice, dernier refuge des faibles ?
Sur le terrain judiciaire, l’affaire tourne à la guerre de positions. Saisi, le juge a bien tenté d’imposer le camp Ngoma-Louembé, ordonnant l’éviction des pro-Bongo du siège du parti. Mais rien n’est jamais simple en terres gabonaises. Les locaux restent inaccessibles, l’administration tergiverse, chacun campe sur ses revendications. Noms, logos, biens : tout est devenu source de contentieux.
Dans l’ombre, une impuissance institutionnelle laisse place à une double angoisse : relancer une base militante privée de repères et éviter la résignation d’un mouvement autrefois triomphant, aujourd’hui rattrapé par le vide.
Une légende à l’épreuve de la réalité
L’heure de vérité a-t-elle sonné pour ce qui fut le bras armé d’une dynastie ? Hanté par ses divisions, le PDG peut-il s’imposer comme une force crédible de l’opposition ou est-il condamné à la dissolution pure et simple ? L’équation demeure entière et les variables multiples : capacité des réformateurs à rallier la troupe, volonté de transition d’intégrer — ou d’effacer — cet encombrant héritage, regard d’une opinion lassée par les simulacres politiques.
Dans les coulisses et sur les réseaux sociaux, une même lassitude s’exprime : la déconnexion croissante entre la formation et le réel. Le PDG ne saurait plus fédérer ni incarner un espoir, réduisant à néant sa prétention à renaître de ses cendres sans une introspection douloureuse.
Au Gabon, les systèmes finissent, les symboles changent, mais nul ne sait jamais d’avance ce qui survit à un effondrement. Le PDG ? Reste à savoir s’il sera le vestige poussiéreux d’un passé révolu… ou le ferment inattendu d’un nouveau départ.