Visite de Mamadi Doumbouya en Côte d’Ivoire : un signal d’ouverture diplomatique et de rupture avec la dynamique des régimes militaires de l’AES ?
Le 17 juin 2025, le général Mamadi Doumbouya s’est rendu à Abidjan pour une visite officielle de 48 heures. Accueilli avec les honneurs par le président ivoirien Alassane Ouattara, le chef de la transition guinéenne a multiplié les gestes symboliques et les entretiens bilatéraux, dans une démarche qui tranche nettement avec la posture adoptée par les autres régimes militaires de la région sahélienne. À travers ce déplacement, Conakry envoie un message clair : celui d’une ouverture diplomatique assumée et d’une volonté de ne pas céder à la dynamique de rupture incarnée par l’Alliance des États du Sahel.
Une Guinée à part dans le paysage des transitions
Alors que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, regroupés dans l’AES se sont retirés de la CEDEAO, la Guinée, elle, y reste pleinement engagée. Ce positionnement reflète une volonté de maintenir le dialogue avec les institutions régionales, malgré une transition toujours en cours à Conakry. Mamadi Doumbouya réaffirme ainsi que son pays ne souhaite pas s’isoler du reste de l’Afrique de l’Ouest, ni remettre en cause son appartenance à des organisations communautaires jugées par plusieurs pays comme essentielles pour la stabilité économique et politique de la région.
Cette approche se veut également pragmatique. En pleine phase de recensement général de la population et de finalisation du fichier électoral, la Guinée cherche le soutien technique et diplomatique de ses partenaires régionaux pour mener à bien son calendrier de retour à l’ordre constitutionnel. Contrairement à ses homologues sahéliens, le général Doumbouya insiste régulièrement sur la nécessité d’organiser des élections crédibles, un discours qui contraste avec l’ambiguïté persistante sur les échéances électorales dans les pays de l’AES.
Une diplomatie de proximité et de symboles
À Abidjan, au-delà des échanges protocolaires, c’est une diplomatie de proximité que le président guinéen a voulu incarner. En rencontrant la communauté guinéenne installée en Côte d’Ivoire — l’une des plus importantes de la diaspora — Doumbouya a mis l’accent sur les liens humains et historiques qui unissent les deux pays. « Nous devons bâtir une communauté de destin », a-t-il déclaré, appelant à renforcer les échanges économiques, sécuritaires et culturels entre Conakry et Abidjan.
Ce rapprochement avec un allié traditionnel de la CEDEAO, à un moment où plusieurs transitions militaires s’orientent vers un isolement stratégique, renforce l’idée d’une singularité guinéenne. La diplomatie de Doumbouya se distingue non seulement par ses choix d’alliances, mais aussi par la volonté de sortir du cadre strictement militaire pour engager le pays dans une dynamique de normalisation politique.
Un repositionnement stratégique à l’approche des élections
La visite de Mamadou Doumbouya à Abidjan intervient dans un contexte interne sensible : le recensement dans le cadre des futures élections législatives et présidentielles est toujours en cours et le général Doumbouya a récemment annoncé la création d’une Direction générale des élections. Si cette décision peut être perçue comme un signe d’accélération du processus de transition, elle a néanmoins suscité des interrogations au sein de l’opposition et de la société civile sur l’indépendance de cette structure.
À moins d’un an de la date butoir fixée pour le transfert du pouvoir aux civils, la Guinée semble entrer dans une phase de clarification politique. Les actes posés ces dernières semaines entre diplomatie active et discours d’apaisement, dessinent les contours d’un repositionnement stratégique qui vise à rassurer la communauté internationale tout en préservant les équilibres internes.
Conclusion : une rupture assumée avec la logique de bloc
En multipliant les signes de coopération avec ses voisins et en maintenant des canaux ouverts avec la CEDEAO, Mamadi Doumbouya marque une rupture nette avec la logique de bloc et de confrontation incarnée par l’AES. Là où le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont érigé la souveraineté militaire comme principe structurant de leur politique étrangère, la Guinée semble faire le pari de la transition apaisée et de la réintégration progressive. Cette démarche n’est pas dénuée de calcul. Dans un contexte de fatigue diplomatique vis-à-vis des régimes issus de putschs, Doumbouya cherche sans doute à se démarquer et à bâtir une image de leader pragmatique, soucieux de respecter ses engagements tout en consolidant son pouvoir. Reste à savoir si cette ligne tiendra jusqu’à la tenue des élections et surtout, si elle convaincra aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières guinéennes.