Madagascar : l’armée au pouvoir, refondation ou restauration ?
Après plusieurs jours de manifestations et de revendications, l’Assemblée nationale malgache a destitué, le 14 octobre 2025, l’ex-président Andry Rajoelina, sanctionnant ainsi son incapacité à garantir le bien-être minimal de la population. Le même jour, l’armée a annoncé la création d’un Conseil national de défense de la transition, rapidement entériné par la Cour constitutionnelle, avec à sa tête le colonel Michael Randrianirina, nommé président par intérim. Sur fond de colère sociale, la chute de Rajoelina symbolise autant le rejet d’un système à bout de souffle que le retour en force d’une armée longtemps en retrait, mais jamais totalement absente du jeu politique.
Retour de flammes pour Andry Rajoelina ?
Les nombreuses contestations à l’endroit du régime Rajoelina prévoyait une telle fin. Entre absences prolongées du chef de l’État, inflation, coupures d’électricité à répétition et multiplication des scandales de corruption, la fracture avec la population s’était aggravée notamment avec la naissance du Mouvement GEN’Z Madagascar. Les protestations, d’abord sporadiques, ont fini par prendre l’allure d’un mouvement national.
Si l’ex Chef d’Etat a tenté de calmer le jeu en limogeant tout d’abord son ministre de l’énergie et ensuite tout le gouvernement, il avait déjà perdu toute légitimité et confiance de sa population. Alors même que Rajoelina a accédé au pouvoir pour la première fois grâce à une intervention militaire en 2009, il quitte aujourd’hui la scène politique par le même biais, bouclant ainsi un cycle de coups d’état que beaucoup espéraient révolu. Son départ, loin d’être une surprise, symbolise la faillite d’un modèle de gouvernance fondé sur la personnalisation du pouvoir et la promesse non tenue d’un renouveau démocratique.
Le retour d’un vieux schéma
Dans son premier discours, prononcé depuis le siège de l’État-major à Antananarivo, le colonel Michael Randrianirina s'est voulu à la fois ferme et rassembleur. « Nous restaurerons la dignité nationale, nous lutterons contre la corruption et nous engagerons une refondation profonde de nos institutions », a-t-il déclaré, dans un ton à mi-chemin entre l’appel au sursaut national et la justification de l’intervention militaire.
Face à des Malgaches épuisés par des années de crise politique et économique, ce discours a trouvé un écho favorable. Michael Randrianirina, ancien gouverneur et colonel du CAPSAT, force militaire qui avait également contribué à l’arrivée au pouvoir de Andry Rajoelina, se présente comme un homme de devoir, pragmatique et proche du terrain. Pour beaucoup, son profil tranche avec celui d’une classe politique jugée déconnectée. Pourtant, son ascension s’inscrit dans la continuité des transitions militaires malgaches de 1972 et 2009, chaque fois au nom d’un redressement national.
Mais derrière les promesses de refondation, les interrogations demeurent nombreuses. Le Conseil national de défense de la transition a suspendu la Constitution et dissout le gouvernement, annonçant la tenue d’élections dans un délai de 18 à 24 mois. Une feuille de route jugée imprécise par la société civile et plusieurs observateurs internationaux, qui redoutent une prolongation indéfinie de la transition comme les pays de l’AES.
Entre mythe du sauveur et mirage de la refondation
Si une partie de la population semble soulagée par le départ de Andry Rajoelina, sur le plan international, la réaction reste prudente. L’Union africaine a appelé à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, tandis que la Communauté de développement d’Afrique australe a dépêché une mission d’évaluation à Antananarivo.
Pour l’heure, le colonel Randrianirina bénéficie de l’euphorie de la jeunesse et donc d’un état de grâce. Son discours, ponctué de références au patriotisme et à la lutte contre la corruption, séduit une population lassée par la classe politique traditionnelle. Mais à Antananarivo comme dans les provinces, les attentes sont immenses : amélioration du pouvoir d’achat, réduction des coupures d’électricité, relance de l’économie et lutte contre les inégalités territoriales.
Dans les coulisses du nouveau pouvoir, les équilibres restent toutefois fragiles. Avant toute entreprise de refondation, le colonel Randrianirina devra composer avec les officiers influents, les technocrates civils désireux de rassurer la communauté internationale, et les partis politiques qui exigent une transition courte et transparente.
L’histoire politique malgache l’a démontré : chaque prise de pouvoir militaire s’est présentée comme une promesse de rupture, avant de céder, tôt ou tard, aux logiques de clan et à la tentation du contrôle.
Madagascar face à son destin
Refondation ou restauration ? L’avenir en décidera.
Si le colonel Randrianirina parvient à tenir sa promesse d’élections libres et crédibles, il pourrait ouvrir une brèche dans le fatalisme politique malgache. Mais s’il s’enferme dans une logique de contrôle, le pays replongera dans l’interminable alternance entre civils discrédités et militaires messianiques.
La population malgache ne réclame plus des slogans, mais des résultats tangibles : une économie plus stable, une justice plus équitable et des institutions capables de protéger plutôt que de punir. Le véritable test du colonel Randrianirina ne sera donc pas sa capacité à gouverner par la force, mais à gouverner par la confiance.
Entre la nécessité de reconstruire un État et la tentation de confisquer le pouvoir, Madagascar joue une nouvelle fois son avenir sur le fil du rasoir.